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mardi 30 novembre 2010

Jour 32 - 18/07/10

Hébétude.

Il me faut un message.
Comment toucher mes semblables si je n’émets rien ? Cela semble impossible.
Pourtant, ce vide de sens est ce qui me porte depuis le premier jour. Mon objectif a toujours été de prouver – mais le mot est trop fort –, de vérifier qu’il est possible de créer à partir du Néant. Qu’il n’est nullement nécessaire de souffrir, ou simplement de ressentir quoique ce soit, pour extraire quelque chose de soi.

Une métaphore sera peut-être plus parlante.
Lorsque j’avais 15 ans, je plongeais souvent avec ma famille.
Plus que des merveilles végétales et animales de la mer, je tirais surtout mon plaisir de la sensation d’être en apesanteur, de pouvoir bouger à mon gré dans toutes les directions imaginables. Je passais de longues périodes sous l’eau à nager sur le dos, la tête à l’envers, ou à m’arrimer à une ancre de passage, à fermer les yeux et à jouir calmement de mon état flottant. Je me dissolvais dans la mer à chaque plongée.
C’était un soir. L’eau était chaude, accueillante. Comme souvent en plongée de nuit, j’avais éteint ma lampe pour amplifier encore mon impression de disparaître et de faire un avec la mer. Ou plus exactement, de me faire engloutir tout en conservant mon intégrité physique. De me noyer tout en respirant. Je me sentais merveilleusement bien. Je remuais de temps à autre un bras, un cheveu, un genou.
Je m’endormis.
Je m’endormis vraiment. Profondément. Délicieusement. Comme on voudrait mourir.
Peut-être deux secondes. Peut-être dix. Peut-être une minute. Je n’en ai aucune idée.
C’est encore à ce jour l’un des moments les plus paisibles de mon existence. Un instant qui s’étendit à l’infini.
Un choc moelleux sur le crâne me réveilla en douceur.
J’étais rentré dans une large colonne de corail mou.
Le monde était encore là. Je n’avais pas coulé. Je n’étais pas remonté en flèche à la surface. Tout allait bien. J’avais continué à palmer tout droit, jusqu’à entrer en collision avec un objet, avec la Terre, avec quelque chose.
Quand j’ai enfin réalisé ce qui m’était arrivé, j’ai explosé de rire. Un rire dévastateur, de joie pure, qui faillit me noyer pour de bon.

Voilà la création telle que je la veux. Sans pathos, sans douleur, sans revendication.
Une présence se révélant au monde, issue de rien d’autre qu’elle-même, sans autre raison d’être que celle d’exister.

Pourquoi me faudrait-il un message, alors ?
Avec cette armure, je suis en plein dans mon univers.

C’est que je suis humain. Plein de doute, entouré de contraintes, d’incrédulité.
Souvent, je suis intouchable. Je sais que je marche sur la route que je me suis choisi – la seule route qui ait un sens à mes yeux – et que je saurai y rester sans effort.
Mais par moments, je me sens atteignable. Le Néant me quitte et la multitude tentaculaire m’enserre : il faut être utile, il faut être rentable, il faut plaire, il faut interagir, il faut des résultats !
Mon vide est en jeu. L’armure est en jeu. Ma vie est en jeu.
Car si je laisse le stress m’envahir, la souffrance viendra bientôt.
"Il faut plaire ! Il faut plaire ! Il faut plaire !"
Et ce que je créerai ne m’intéressera plus moi-même ...
Il me faut un message pour avoir un contact avec la société.
Je ne peux en aucun cas avoir de message. Ce serait nier tout ce que je crois, tout ce que j’aime.

Hébétude.
Mon esprit tourne en rond.
J'ai une sorte mantra dans ce genre de situation.
Du Néant jaillit inévitablement la joie. L’absence de Néant ne peut apporter que souffrance.
J’ai raison.
Du Néant jaillit la joie.
Du Néant nait la paix.
Du Néant vient la force.
Du Néant transpire l’ouverture.
Du Néant, tout.

Je suis bientôt libre.
Octobre approche inexorablement. Fini le stage, fini les études, fini le sens.
Le sommeil infini et créateur m’attend à bras ouvert.

Je vais aller dessiner les plans de mon armure, il est temps.
Pas de doute.
Quelque chose se profile à l’horizon.

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