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mardi 26 juillet 2011

Jour 408 - 26/07/11

Amaterasu achevée, le temps souverain a repris son cours.
Oui. J'ai fini l'armure.
Voilà 213 jours maintenant. J'ai fait mes calculs.

Que dire ? Une bulle, si vaste soit-elle, finit toujours par exploser, se dispersant à l'infini dans toutes les directions. Récupérer ses restes volatiles est une tâche ingrate et ardue à souhait.
Jusqu'à en être parfois impossible.

Six mois ont passé, me dit-on. Sacrebleu ! Où en est-ce ?
Hé, tout doux. Pourquoi cela devrait en être où que ce soit ? Je ne sais pas, moi.
Ah ! Je vous l'ai faite miroiter mon armure. Ca, je sais faire ! Et après ?
Je vous retourne la question, messieurs les notables. Que voudriez-vous qu'il y ait ?
Vraiment ... Je suis de mauvaise humeur.
Vous vous emportez, je me renfrogne. C'est de ma faute, je supporte mal les interrogatoires.
C'est bon ! Je veux bien faire un bilan ! Je veux bien conclure !
Mais sachez-le bien, mes propres impressions reposent sur très peu.
Il vous faudra y penser par vous-mêmes.

J'ai construit une armure.
N'est-ce pas suffisant ?
Parfois, je trouve que si.
Combien sommes-nous sur Terre à avoir déjà construit des armures ? Peut-être 500 000 ?
Et ces 50 dernières années ? Peut-être 10 000.
Une armure intégrale en bois décoré de 2m20 de haut ? Seul ? Allez ... Disons 3.
N'y a-t-il pas peut-être dans ce tout petit nombre, dans cette infime proportion, une raison de se réjouir ?
Je n'arrive pas à me décider.
Je pourrais porter un caleçon enroulé autour de mon poignet pendant 3 semaines de suite, et devenir alors parfaitement unique. Sur les 18 milliards d'individus à avoir peuplés la Terre !
L'enthousiasme serait-il alors enfin de mise ?
Sans doute pas.
Mais elle est pourtant belle, Amaterasu ! Oui. Joli travail.

Non. Je l'ai terminée, j'ai fermé les yeux, inspiré un bon coup et me voilà mi-2011.
C'est tout ce qui importe.
Le Temps, que j'avais observé se traîner plaisamment, impalpable opossum épicurien, m'a rattrapé d'un coup de patte et laissé tout ébaubi sur la touche.
J'ai même construit un cercueil sans vraiment m'en rendre compte.
Je le sais parce qu'il occupe une bonne moitié de l'entrée de mon domicile.
Je le reconnais vaguement. J'ai certainement travaillé dessus un moment ou deux.
Mais me voilà éveillé tout à fait pour constater que j'ai emprunté à Chronos de quoi protéger ma vie, et que je l'ai remboursé en protégeant ma mort.

Si on veut mes pensées sur le sujet, les voilà.
Je suis le père d'une armure et d'un cercueil.
Essentiellement vides tous les deux. Mais me contenant déjà par adaptation, par moulage.
Hé ! Je les ai faites à mon image, ces coquilles !
Vient alors cette question : ce vide qu'ils abritent, le remplirais-je en m'y glissant ?
Moi, l'homme du Néant. L'homme prédestiné.
Pourrait-on encore me le nier, ce titre ? Après avoir lu ces cahiers ?
Sans envie précise, sans autre désir que celui de créer, j'ai accouché d'une allégorie sur le vide et l'absurde de la vie et de la mort humaines !
Sur ces deux enveloppes à la fois opposées et jumelles : merveilleuses, fidèles ... encombrantes, tyranniques, désincarnées.

On croit s'approfondir !
J'ai retrouvé cette exclamation dans une nouvelle que j'ai écrite il y a 5 ans : "J'en étais arrivé à ce désormais habituel paradoxe : A quoi bon continuer, oui ? Mais à quoi bon y mettre un terme ?"
Un paradoxe qui m'était déjà habituel il y a des lustres ? C'est à désespérer.
Ah ... Mais !
Si !
On s'approfondit bel et bien !
N'ai-je pas aujourd'hui une réponse à cette épouvantable question ?
Peu importe, pourrais-je m'exclamer ! Hé oui.
Puisque quoiqu'il arrive, j'ai à jamais un douillet et majestueux habitacle à ma disposition.
Du sur-mesure, s'il-vous-plait, monsieur. Petit doigt en l'air !

Quel soulagement, bigre !
Beaucoup de circonvolutions pour en arriver à l'évidence.
Mais fi, disons-le tout de même une bonne fois pour toutes.
J'ai construit une armure : Amaterasu.
Et un cercueil. Je le nommerai, soyez sans crainte ...
D'ailleurs, je le nomme : "Soyez sans crainte !"
Ils me protègent et me protègeront.
De costaud, me voilà parvenu invincible. Jusqu'à métaphysiquement !
Libéré de mes peurs d'humains, celle de la vie lente et de la mort instantanée.
Ou bien est-ce l'inverse ?
S'ouvre enfin à moi, c'est la conclusion, le paradis animal que d'aucuns appellent le présent.

P.S. Je consigne ici les ultimes images de l'armure. Que le cercueil reste inconnu, cela me sied.




mardi 8 mars 2011

Jour 171 - 01/12/10

Le soleil.
Encore, et encore, et encore. Une source d’inspiration et de bien-être inépuisable.
Je me demande parfois si les humains auraient développé une conscience à ce point manichéenne sur une planète ne connaissant pas la nuit.

Tout à mon projet de ne faire rien, je suis rentré à Paris quelques jours. Amaterasu n’a de toute façon pas vraiment besoin de mon concours pour se développer.
Je marche, regarde un peu autour de moi, mange, m’essaye fébrilement à inspirer une bouffée de cet air doucement pollué, tousse et observe mes environs derechef.
Mon monde est peuplé de matériaux, de formes immobiles et de couleurs. Le mouvement parisien, exception faite des remous verdoyants de la Seine, est laid. Désagréable même.
Bref, à ignorer.

J’étais au Louvre. Absorbé dans la contemplation des pavés de la cour principale.
Fasciné par la douceur et la chaleur avec lesquelles les rayons du soleil venaient effleurer la pierre.
Quand cette vision m’a envahi.
J’étais devenu un jeune garçon un peu simplet, accroupi confortablement à l’un des angles de la place. Les talons à terre, les coudes sur les genoux, les yeux grands ouverts. Le soleil me chauffant le dos. Je tendais un doigt et touchais le pavé le plus proche de moi en émettant un calme et joyeux « Ha ».
Et le monde était changé par ce geste.
Mais tout à ma tâche, je repliais insouciamment mon bras, avançais d’un pas minuscule mes deux pieds et m’en allais à la rencontre d’un deuxième pavé, puis d’un troisième.
Peu importe le temps que cela prendrait, la place entière devait y passer.

La première pensée que cette scène m’inspira fut celle-ci : « Cela fait bien longtemps que je n’avais pas songé à un meilleur objectif de vie ». Etablir un contact avec toutes les pierres d’une esplanade, d’une ville, du monde. Avec la tranquille magnificence minérale de la Terre.

Et bien sûr, aussi, faire preuve de détermination.
Ces éclats multicolores que mon jeune alter ego faisait inconsciemment naître autour de lui.
C’était, je crois, sa détermination.

Pourtant, au lieu d’enlever mon manteau et de me mettre immédiatement à la tâche, j’ai repris ma marche et suis rentré chez moi pour l’écrire …
Je suis pourtant presque certain que ma nature profonde est plus dans le toucher que dans la retranscription. Mais il y a cette barrière. Le civilisé, le sensé, l’habitude.
L’Ennemi.


J'ai bel et bien perdu cette fois-ci.
Mais j’ai enfin identifié une occasion où j’aurais du laisser ma sauvagerie parler.
Je peux sortir de ma torpeur régénératrice. Commencer à construire mon être humain.
Passer à la deuxième étape.
Parole de moi, je ne manquerai pas la prochaine occasion.
Je suis à l'affût.
 
P.S. Je consigne ici des images de l‘armure afin de pouvoir mesurer plus tard mes avancées.



mercredi 16 février 2011

Jour 157 - 17/11/10

J’ai commis ma première erreur hier. A moins que ce ne soit avant-hier ? Difficile à dire.
J’en ai encore le vif souvenir mais la sensation d’échec a déjà disparu.
Une imperfection négligeable. Réparée dans l’instant. Sans haine ni courroux.
Une péripétie éphémère.
Perçant la surface calme des flots seulement pour y replonger sans tumulte aussitôt sa respiration prise.

Il y a quelques jours seulement, j’en aurais sans doute fait toute une histoire.
Ne prétendais-je pas que mon armure était déjà faite ? Avant même qu’elle ne prenne forme !
J’aurais été contraint de m’interroger sur la possibilité de balbutier un discours déjà prononcé.
Mais après quelques minutes de doute, j’aurais choisi d’y voir une épreuve de ma volonté, une confirmation de ma détermination, et me serais remis à l’ouvrage.
J’aurais alors écrit ce soir mon récit héroïque, le cœur empli de sérénité, rassuré par ma triomphante victoire.
Ma foi, l’enthousiasme et le panache m’ont toujours semblé être d’irréfutables qualités !

Mais l’évènement est en réalité passé grandement inaperçu.
J’avais déjà à moitié corrigé ma faute lorsque je pris conscience de l’avoir faite.
J’ai peut-être hésité une seconde avant de reprendre ma respiration, et l’incident était clos.

J’ai poursuivi mon labeur quotidien.
Celui-ci achevé, j’ai constaté qu’il était encore tôt dans l’après-midi et ai disposé en face d’une fenêtre donnant sur l’ouest un fauteuil au creux duquel je me suis affalé, baignant dans la lumière aveuglante et froide du soleil hivernal.
Une radieuse enveloppe qui m’engourdit à tel point qu’il me fallut, je crois, une bonne heure pour enfin donner aux pensées qui me préoccupaient une forme intelligible.

J’ai décidé qu’il allait bientôt me falloir hiberner.
J’en ai soupé de cette notion de nécessité omniprésente en société. D’autant qu’elle s’attache à tout ce qui, précisément, n'est pas nécessaire.
Trois choses me sont absolument vitales en tant qu’être humain : manger, bouger et dormir.
Voilà le cocon que je dois tisser.
Ce ne doit être qu’une étape dans mon développement, mais ce retour aux sources m’apparait très clairement essentiel.
Pour purger tout ce fatras d’absurdités qui nous plombe sans cesse.

Arrivé à ce stade de réflexion, je me suis souvenu très clairement de ce livre de Robert Silverberg dont la thèse principale était que le propre de l’être humain est de construire … pas de reconstruire.

Partir de zéro et avancer.
Ce « propre de l’être humain » assurément est assez proche de ma « sauvagerie sophistiquée ».

Paradoxalement, il semble que de nos jours, ce « zéro » soit déjà à part entière un objectif à atteindre.
Ce sera donc mon premier pas.

P.S. Je consigne ici des images de l'armure afin de pouvoir mesurer plus tard mes avancées.


   


lundi 14 février 2011

Jour 150 - 10/11/10

L’armure avance à son rythme.
Les étapes ont commencé à perdre de leur singularité. Le dessin, le travail de pochoir, la découpe, la peinture. Tout se confond peu à peu dans mon esprit pour ne plus former qu’une notion générale de « travail ».
Au sens noble du terme.
Je fais quelque chose. C’est une sensation durable et bonne.

Pendant mon temps libre, je dévore une œuvre que je viens de découvrir.
Elle parle des rêves, et de comment chacun les aborde tout au long de sa vie.
C’est un régal !
Je suis d’un tempérament si traditionnel, si casanier … je change si rarement mes habitudes que j’oublie toujours à quel point le contact de la nouveauté me bouleverse.

Quelle place ont mes rêves dans tout ce que je fais ?

Cette armure en est-elle seulement un ?
Je ne crois pas. J’ai désiré la faire, et je l’ai faite.
Littéralement, Amaterasu est un caprice. Un caprice vaguement virtuose, à la rigueur.
Mais pas mieux.

Si je ferme les yeux un instant et invoque à ma conscience le rêve, j’obtiens ceci.

1.       « Force »
2.       Sous une forme quasi-bestiale, je bondis de toits en toits à une vitesse surhumaine, les tuiles éclatent en mille morceaux sous la pression de mes foulées, l’air s’embrase autour de moi
3.       « Harmonie »

A la lumière de ces aspirations, ces armures, photos et textes dont je prétends vouloir faire ma vie m’apparaissent bien bourgeois.
Des choix en demi-teintes inventés au fil du processus éducatif censé faire de moi un membre de notre société.
Des activités bourgeoises, oui. 
Domestiques.
Et d’une façon certaine, empruntées.

Ce à quoi j’aspire n’est-il pas simplement la sauvagerie ?

Mais puisqu’il semble impensable de se défaire de son humanité, peut-être devrais-je viser une sauvagerie sophistiquée.

Voyons.
Par où commencer ?

P.S. Je consigne ici des images de l'armure afin de pouvoir mesurer plus tard mes avancées.